[Dega] Rupture

Hrp : Cette chronique fait suite à celle nommée Changements.



Dega reprit conscience. Animé d’une haine farouche, d’une colère insurmontable, il se mit sur son séant. Son regard erra sur le décor enneigé du paradis. Que faisait-il là ? Où était passé Highwood ? Il ferma les yeux et replongea dans ses souvenirs récents.

Le front, Highwood, la boue, les coups, les démons, les anges, la route, les arbres, les démons qui avançaient, les anges qui reculaient. Il s’était retrouvé bloqué par des anges qui ne respectaient pas le damier, et les autres reculant, il avait très vite fait partie de la première ligne. Les démons s’étaient acharnés sur lui, normal, il était l’un des plus expérimenté, l’un des seul qui criait des ordres, qui tentait d’organiser les anges. Pauvre Démo-gnac, il aurait bien du mal après ça. Sa mort avait du venir alors qu’il était évanoui, groggy par les coups répétés.

De son expérience au front, il en retirait une colère et une haine, contre les démons, mais aussi contre toutes ces lavettes d’anges incapables de suivre des ordres, incapables de communiquer, incapables de s’organiser. Où était passé la Grande Race Angélique ? Où étaient tous ces anges valeureux qui peuplaient les contes pour chérubins ? Où étaient ces héros qu’on exhibait devant les humains pour les convertir ? Où étaient ces martyres qui donnaient courage et altruisme sur les fronts ?

Envolés, disparus et non remplacés. Elle était belle la Nation Angélique tiens. Il comprenait de ce fait, tous les déchus qui avaient quitté la Nation dégoûtés par cet état de fait. Mais la fuite n’avait jamais résolu les problèmes. Il ne finirait pas comme eux, il se battrait pour la Nation, avec ou sans les anges. Il ne restait plus qu’a espérer que les Guides Célestes nouvellement nommés allaient réveiller ce ramassis de feignants.

Son regard parcouru le paysage paradisiaque qui lui était familier. Mais plus aucune paix ne venait le remplir lorsqu’il le contemplait, sa colère était toujours là, immuable, bien implantée. Il regarda ses bras, décorés de cicatrices supplémentaires. Son sang avait coulé. Son sang s’était mêlé à la boue, au sang démoniaque. Son sang si pur d’ange. Son souhait ne s’était pas réalisé. Sa vieille question lui revint. Pourquoi avait-il été envoyé à Highwood ? Etait-ce une étape nécessaire pour qu’il puisse devenir ce qu’il devait être ? Devait-il se laisser guider ainsi par ses émotions ?

Il s’étira pour chasser les vestiges de ses douleurs du combat et ses questions sans réponses, et se mit en route. Des démons polluaient son Eden, ils allaient en ressortir pieds devant. Les images de démons courant dans la neige, se moquant des règles angéliques, souillant sa pureté, tout cela lui était insupportable. Et la vision d’anges les laissant passer, fuyant plutôt que de combattre, tout cela augmentait sa colère. Qu’étaient ces immortels pour craindre la mort ? Qui étaient-ils pour faire passer leurs être avant le bien-être de la Nation entière ?

Un ange cru bon de s’entraîner sur lui. Dega reconnu un de ceux qui étaient à Highwood avec lui, l’un de ces imbéciles incapable de suivre les règles les plus élémentaires. Sa colère déjà forte s’embrasa. Il rejeta ce en quoi il croyait, la justice, l’impartialité, la loi, et se fit justice lui même, tombant dans le travers de bien des anges, lassé de ces anges qui ne suivaient pas les lois. Il aurait pu faire dark lister cet ange, mais sa colère avait parlé avant. Après tout, on avait le droit de se faire justice, on se privait juste de pouvoir porter plainte. Cela lui convenait tout à fait. La Nation Angélique l’horripilait. Tous ces débats stériles, alors que l’urgence était là. Il était plus que temps d’agir.

Il planta avec joie sa vieille épée dans le dos de l’ange, et songea avec détachement qu’il allait devoir la changer, pourquoi pas pour un autre type d’arme. Il pourrait toujours donner celle ci à Darien. Le jeune Cherubin allait finir par se faire mal à taper avec ses poings. Darien… Il allait devoir avoir une explication avec lui, le jeune garçon allait devoir prendre son indépendance. Il n’était pas forcé de devenir CRS, il devait voler de ses propres ailes. Le CRS… Il avait beaucoup à faire.

Son regard tomba sur les traces d’un démon. Bien, il avait trouvé sa prochaine cible. Non pas que frapper des anges traîtres le gênait, mais il était infiniment plus heureux lorsque sa lame entrait dans un corps démoniaque. Des anges lui reprochaient son aura sombre, ses yeux noirs, sa colère, sa violence, mais il s’en fichait. Il vivait pour la Nation, pas pour les anges.

Le démons s’éloigna, craintif, et Dega, plutôt que de se lancer directement à sa recherche, préféra aller voir Darien, pour discuter avec lui. Ce démon ne pouvait être partit bien loin, il pouvait toujours le laisser espérer avoir semé les anges, il mourrait bien assez tôt.

L’ange se posa devant la Chapelle Ardente. Depuis bien longtemps, il n’y était pas revenu. Depuis sa chute à Highwood en fait, voire même un peu avant. Il resta songeur devant les grandes portes.

Il ne savait plus ce qui l’avait poussé à entrer au CRS. Mais l’accueil qu’on lui avait fait, le sentiment immédiat d’appartenir à un groupe soudé, qui s’entendait bien, tout cela avait aplani les soucis du respect du dogme. Il avait certes toujours eu foi en Dieu, mais il n’était pas comme son frère, il n’était pas fait pour les paperasses, les bureaux. Il lui fallait l’air pour, la liberté, l’espace. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’avait jamais instruit d’enquêtes pour le CRS. Il savait au fond de lui qu’il n’était pas fait pour ça.

Et avec quelle joie il avait sauté sur la défense du paradis, lorsqu’il s’était aperçu que plus personne ne s’en occupait. Il était enfin heureux d’avoir trouvé un rôle, et celui-ci lui tenait à cœur. Il avait alors juré de défendre ce lieu saint au mépris de sa vie. Et ce serment était encore imprimé en lui de façon vivace. Il avait alors remué les CRS, essayé d’engager d’autres anges oisifs. Jamais il n’avait abandonné.

Quoiqu’il en soit, il avait trouvé chez les CRS de l’amitié, de l’entente, et une franche camaraderie qui ne l’aurait fait quitter ce groupe pour rien au monde, même si ses préoccupation étaient quelques peu éloignées des leurs. Le bar, les chèvres naines, la section XII, les TI, tant de souvenirs joyeux ou énervants, c’était à eux qu’il les devait. Et puis c’était grâce à eux aussi qu’il s’était lancé dans la rédemption, au côté d’Hérion, mais bien avant aussi avec les DDD, et plus récemment avec Don Pedro.

Il tendit doucement la main et poussa la porte. Elle s’ouvrit sans un bruit et un rai de lumière entra et éclaira les dalles austères de la Chapelle. Il ne pouvait entrer, il ne s’en sentait plus capable, et il se détourna. Il continuait à servir Dieu, mais pas comme ça, pas ainsi, la Chapelle ne pouvait le voir, ou plutôt, il ne pouvait la voir. Il s’éloigna de la porte, et fit le tour de la Chapelle. Le pré lui suffirait. C’était le lieu de discussion pour le paradis, c’était le lieu où les chèvres vivaient. Il n’avait besoin de rien d’autre. Son bar ? Il le délaissait, n’ayant plus goût à servir.

Il s’assit dans l’herbe, en tailleur, et déposa son épée au sol. Il se concentra ensuite pour contacter Darien, chose qu’il n’avait pas fait depuis des lustres. Pauvre gamin, il devait se sentir un peu seul. Le jeune garçon lui répondit de suite, comme s’il attendait son contact, et Dega le vit débouler dans le pré avec un grand sourire sur son jeune visage.

- Hey, Dega, ça fait un bail que t’es pas venu ici !
- Je sais bonhomme, je sais
- Alors, le front, comment c’était ?
- C’était.
- Et t’es content de retrouver le paradis ? Tu es où ?
- Je suis………… je ne suis pas venu pour parler de ça.
- Ah.
- Ecoute Darien, les choses ont changées. Tu le vois, tu n’es plus dépendant de moi, tu es libre, tu dois donc vivre selon ton souhait.
- Je sais, mais…. Mais tu reste mon aîné, mon tuteur, mon…
- Je ne suis qu’un ange Darien. Je ne peux t’obliger à devenir CRS, je ne peux t’obliger à défendre le paradis, tu es libre de tes choix mon grand. Alors vis, vis ta vie, vis tes rêves, façonne ton monde, tes amis, tes objectifs. Vis et grandit pour toi, pour la Nation. Fais tes choix.
- Mais…
- Et prend cette épée, je te l’offre.

Dega se leva et ébouriffa les cheveux du Cherubin. Cela n’aurait pas du se passer comme cela, mais… mais il n’était plus capable de finesse, il n’avait plus la patience, il n’avait même plus l’envie. Il se devait de se détacher de ces choses là, il ne pouvait les conserver. Il n’avait pas à laisser son état influencer Darien. Il faisait confiance aux CRS pour aider le Cherubin à trouver sa voie. Son rôle était terminé dans cette histoire. Il s’éloigna de la Chapelle. Il y reviendrait, pour essayer de bouger les CRS, pour organiser la défense du paradis. Mais il avait d’autres choses à faire.

Dega resta songeur devant la bâtisse des Dark Angels. Il avait continué à la fréquenter, continuant son travail initié sur le front pour rédempter Don Pedro. Et les Dark Angels avait déjà eut à faire avec son sale caractère. Il repensa à Mila et Forlax, qu’il avait plus ou moins brusqué, à Allia qu’il avait du froisser. Mais il haussa les épaules. C’était à eux de s’adapter après tout. Mais il se jura d’essayer de faire des efforts. Pour Hérion. Il se remémora leurs longues discussions. Il lui devait bien ça.

Il s’éloigna. Il n’avait en fait rien de particulier à dire ici. L’Assemblée Céleste par contre allait devenir son nouveau terrain de jeu, il allait y être incisif, il allait pointer les erreurs des anges, leurs faiblesses. Il n’en pouvait plus de les voir tels des larves, se prélasser dans les salles, y discuter de choses et d’autres, critiquer, râler, sans apporter la moindre solution. Ils perdaient de vue leur essence angélique, leur mission divine. Il fallait que cela cesse !

Arrivé devant le parvis de l’Assemblée Céleste, il regarda les anges qui en sortaient. Certains discutaient joyeusement, d’autres restaient silencieux. Il aperçu son frère Aston qui discutait avec les deux autres Guides Célestes, un sourire sur le visage. Il aurait voulu s’esquiver, mais le loup le vit et s’approcha de lui avec un sourire interrogateur. Il est vrai que Dega avait coupé toute communication depuis un moment, et son air avait de quoi intriguer, même son frère. Surtout lui en fait.

- Dega, que…
- Je sais, répondit-il en levant la main pour couper court à toutes les questions. Le regard que posa Aston sur lui lui fit comprendre qu’il ne s’en sortirait pas sans des explications. Il poussa un soupir et désigna le paysage alentour.
- Si on allait faire un tour ?
- Si tu veux…

Ils commencèrent à marcher, Dega cherchant ses mots. C’était en effet assez aisé d’être froid avec tout le monde, y compris Darien, mais c’était autre chose de l’être avec son jumeau, son double. Il y avait une relation particulière entre eux et même avec toute la volonté du monde, Dega n’aurait pu le nier ni l’en empêcher. Ils étaient frères, liées, envers et contre tout.

- Tu te souviens, il y a longtemps, lorsque j’étais allé rendre visite aux gars de la section XII ? J’ai eu un accès de colère.
- Oui, je t’ai empêché de faire une grosse bêtise.
- Oui, c’est cela, et je t’ai juré de ne plus me laisser envahir par mes sentiments.
- Oui.
- Et j’ai tenu. Quand je ressentait une émotion comme la colère, la haine, la souffrance, j’ai lutté, je pensais à toi. J’ai même expliqué à Darien que ces émotions étaient indignes d’un ange.
- Tu as bien fait.
- Malheureusement, je m’en rend compte aujourd’hui, j’avais tord.
- Tord ? Comment peut-on avoir tord de refouler des émotions qui tiennent plus des démons que des anges ?
- Parce que ce sont ces émotions qui font de nous des êtres vivants, Aston. Sans cela, nous ne serions que des machines. C’est pareil pour l’amour, l’amitié, la joie…
- Mais ce sont des émotions pures celles-ci. Alors que la haine, la colère, c’est démoniaque !
- Tu te trompes mon frère. Les démons en font l’apologie, mais elles sont en nous, en tous les anges, elles s’expriment à différents degrés. Qu’as tu ressenti quand tu as perdu Allia ? Que ressentirais-tu si tu la reperdais ? Que sentirais-tu si Solunes t’était enlevée ?
- …
- Tu vois.
- Est-ce une raison pour ne vivre que de cela ? Regarde toi, tu fais peur à voir. On croirait croiser un ange pro-démon. Tu n’étais pas comme cela avant, qu’est-ce qui t’a rendu ainsi ?
- Le front, et quelque chose de plus profond et plus vieux.
- Quoi ?
- Les… non. Rien. Laisse.
- Dega, je ne te reconnais plus !

Aston saisit le bras de Dega qui s’était détourné et le força à lui faire face.

- Dis moi, frangin, à cause de quoi es-tu comme cela ?

Dega s’arracha de l’étreinte de son frère et s’éloigna. Il lui fit ensuite face, le regard dur. Sa voix rauque s’éleva avec un volume important, faisant se retourner certains anges vers eux. Mais il ne s’en souciait pas, il avait le regard fixé sur son frère, et ses prunelles étaient plus noires que jamais.

- Arrête Aston. Il est des choses que tu ne peux maîtriser. Qu’est-ce que cela change pour toi ? Tu as ta vie maintenant, tu as Allia, tu as Solunes, tu as la meute, tu as même la Nation pour toi. Que veux-tu de plus ? Ma vie ne vaut pas la peine que tu t’en soucies. Si tu as peur pour ton image, sache que je resterai fidèle à Dieu et à mon blason de CRS. N’aie rien à craindre de ce côté là. Maintenant, va remplir ton rôle, sort cette Nation de sa léthargie.

Dega fit demi-tour et s’éloigna de son frère. Aston le regarda partir, les bras ballant, incapable de donner un raison cohérente aux actes de son frères, et très chagriné par cela. Dega marcha sans autre but que de s’éloigner de son frère, s’éloigner avant que sa raison ne flanche, s’éloigner avant que sa colère ne retombe, s’éloigner avant que son frère ne voit les larmes qui lui coulaient le long des joues. Pourrait-il un jour le comprendre ? Pourrait-il un jour le pardonner ? Dega avait mis de la distance envers tous ceux qui lui étaient cher, ne voulant les blesser de par son attitude, mais ne les avait-il pas trop blessés en les quittant ainsi ?

Dega écarta ces interrogations et essuya ses larmes. Il se remémora les images du front de Highwood qui ne le quittaient plus et sa volonté se raffermi, sa haine reflamboya, sa colère se diffusa dans ses veines. Il voulu saisir son épée, mais il se remémora qu’il en avait fait don à Darien. Tant pis, il se servirait de ses couteaux, en attendant de tomber sur un forgeron capable de lui créer une nouvelle lame. Il s’élança sur la piste des démons qui souillaient son Eden et se promit de revenir à l’Assemblée, mais plus tard, une fois sûr de lui, et cette fois, que son frère soit là ou pas, il agirait de la même manière, pour son but.